« Mon » École « de cœur »
Dans ma carrière professionnelle, j’ai sévis dans plusieurs écoles. De mes passages plus ou moins longs dans ces écoles, j’ai gardé de bons souvenirs. Toutefois il y en a deux qui restent mes écoles « de cœur »: celle de Gredisans ou j’ai véritablement débuté et celle d’Oussières.
« OUSSIERES » est un village du bas Jura, de la Bresse jurassienne. C’est là qu’un jour de 1975 j’ai pris mon « vrai départ » dans ma vie professionnelle comme dans ma vie familiale.
« Oussières », allait devenir ‘Mon École’.
1976: les 2 classes réunies
Ma « vraie vie » commençait en cette année 1975. Les objectifs que je m’étais fixés adolescent étaient atteints:
J’étais Instit ! Je venais d’épouser une Instit ! Normal !
Notre vie de couple commençait véritablement: nous étions en recherche d’un village où nous allions poser nos valises, fonder notre famille, vivre heureux, voir grandir nos enfants, vieillir ensemble, être en retraite ensemble… autant d’images d’ Épinal traditionnelles et bien sur naïves.
C’est ainsi que j’imaginais « les choses ». La vie, elle, allait en décider autrement.
En cette époque lointaine où les communes de France avaient encore presque chacune une école et que l’éducation était une priorité, il était possible d’obtenir un poste ‘double’, c’est à dire d’être nommé en couple au même endroit pour peu que deux postes soient disponibles dans une même commune.
Je sais, de nos jours c’est difficile d’imaginer que cela puisse avoir existé.
Nous avions visité plusieurs villages, vu plusieurs écoles avant d’établir une liste de choix et parmi les postes « double » mon épouse avait ajouté en fin de liste « Oussières » qu’une collègue lui avait recommandé. C’était la seule école que nous n’avions pas visitée et bien sur… c’est là que nous fûmes ‘nommés’.
Si je l’avais visitée, je n’aurais sans doute pas fait ce choix car les écoles d’Oussières en 1975 s’apparentaient à « des écoles musée », d’un autre âge.
C’est ainsi qu’en cette rentrée 1975, nous arrivâmes à Oussières plein de rêves et d’espérances. Plein d’utopies !
En mission
Le regard incrédule, admiratif et humide que mon grand père avait posé sur moi le jour où je lui avais annoncé que j’avais été reçu au concours de l’école normale ne me quittait pas.
« Instituteur, avait-il dit, c’est le plus beau des métiers, tu vas faire des hommes ! »
Cette phrase, il me l’avait gravée au fer rouge.
C’est avec cette conviction que mes années d’études achevées, j’arrivai quasiment « en mission » à Oussières, habillé de mes certitudes, des valeurs laïques qu’on m’avait données et que j’avais fait miennes.
« Élève maître » à l’école normale de Lons le Saunier, je m’étais plongé dans la lecture des lois laïques, de Charles Péguy, de Jules Ferry … Les livres de de Marcel Pagnol, notamment La Gloire de mon père et La Fille du puisatier … glorifiaient l’école laïque: la Laïque ! Même si en 1968, l’esprit des lois républicaines laïques n’était plus depuis longtemps d’actualité, j’étais fier d’appartenir à cette école laïque, à ce corps enseignants venus du peuple comme moi et moi, héritié des valeurs des Hussards noirs de la République, je m’étais convaincu de l’importance de ma mission:
« Instruire » mais aussi « déconstruire » et c’est à la superstition à l’obscurantisme religieux qu’il fallait arracher l’École. » J’avais ces valeurs en héritage.
C’est donc en véritable missionnaire laïque, que j’arrivais à Oussières espérant y trouver une école moderne où assurer ma mission dans de bonnes conditions : mauvaise pioche !
…
J’ ignorais qu’ Oussières était l’un des dernier village du Jura à avoir accédé à la mixité à force de résistance et que finalement, sous la contrainte, l’école de filles était devenue l’école « des petits » et l’école de garçons, « la grande école ». Néanmoins, une séparation a longtemps isolé les filles des garçons dans la classe de la grande école, ce qui illustre bien l’ouverture d’esprit des décideurs locaux et de la population de l’époque.
C’était aussi l’un des derniers villages en 1975 à avoir deux salles de classe d’une autre époque, avec leur poêle à bois, un vieux Godin fissuré dans la mienne, qui trônait au milieu de la classe et fumait copieusement à l’allumage. La salle de la « grande école » était dans un état pitoyable avec son plafond noirci par la fumée, ses murs défraichis, ses tables rustiques en chêne ciré « d’avant guerre » (par ailleurs magnifiques), qu’on ne voyait plus guère que dans les livres d’histoire.
J’ignorais aussi, que j’arrivais dans un village à l’époque fermé sur lui même, dans une sorte de bastion de « droite agricole » avec l’esprit borné qui va avec, avec quelques nostalgiques du temps où l’instituteur était un « religieux ». Le Maire, un brave homme par ailleurs, comme son conseil municipal de l’époque n’étaient pas le moins du monde préoccupé par les questions scolaires, ou si peu.
Les « choses » et les mentalités ont depuis fort heureusement évolué avec le renouvellement de la population, de nouveaux arrivants.
Moi qui rêvait d’une école moderne, je faisais un recul dans le temps d’une cinquantaine d’années ! L’atterrissage fut difficile. J’allais aussi découvrir rapidement que « les problèmes de l’école » n’étaient pas le soucis des responsables locaux de l’époque, malgré les efforts affichés d’un ou deux d’entre eux: les choses allaient fort bien comme cela depuis… et il n’y avait aucune raison d’en changer. Surtout quand ça coûtait des sous !
J’allais me heurter maladroitement de plein fouet à une résistance farouche à tout changement, à un Maire brave homme mais peu enclin à voir les choses évoluer, d’autant que fort de mes certitudes, je n’ai pas su gérer les crises que mon manque de diplomatie allait fatalement engendrer. Je n’avais pas été préparé à affronter une telle situation.
Là où ailleurs un projet aurait mis 6 mois à aboutir, à Oussières il fallait 6 ans. J’exagère à peine !
Néanmoins, à force de persévérance sans doute et de travail, l’école a fini par sortir de sa léthargie et je suis, me semble-t-il, parvenu, après de longues années, à en faire une école proche de celle que j’espérais.
Quatorze ans après notre arrivée, 1984 a vu naître dans la douleur le regroupement pédagogique des écoles d’ Oussières et Villers les Bois: deux villages « jumeaux » mais que des rivalités anciennes opposaient.
Aujourd’hui les deux classes ont fermé et il n’y a plus d’école à Oussières.
…………….
Les histoires d’amour finissent souvent mal : la mienne avec cette école, après 18 ans « de vie commune », n’a pas dérogé à la règle.
Avec le recul, je pense avoir rempli la mission que je m’étais fixée dans le poste qui a été de très loin le plus difficile que j’ai connu…
Aujourd’hui quand je passe devant cette école, cette cours de récréation à l’abandon, ce logement de fonction d’un autre âge où mes enfants ont grandi, j’ai toujours un petit pincement au cœur.
Si toutes les écoles dans lesquelles j’ai sévi ont compté pour moi, en particulier celle où j’ai commencé à Gredisans et celle où j’ai « terminé » à Poligny, l’école d’Oussières reste « mon école de cœur » !
Les élèves d’Oussières puis ceux du RPI avec Villers les Bois ont un statut à part parmi tous les élèves que j’ai eu au cours de ma carrière. D’une certaine façon ils ont été davantage que des « élèves ».
Je suis en quelque sorte « né » Instituteur à Oussières. Je reste sentimentalement attaché à cette école à ces enfants comme on s’attache à une terre que l’on a cultivée.
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